Gauguin reprochait aux impressionnistes de peindre autour de l’œil, et non au centre de la pensée. C’est bien à cette exigence que répond Jean Raine. Il se situe en effet dans le cercle étroit de ceux dont la manière est un moyen, jamais un but. Il s’engage tout entier dans son art, sans concession, jusqu’à s’y brûler les ailes.

Jean-Philippe Robert Geenen, dit Jean Raine est né à Bruxelles, le 24 janvier 1927. Vingt ans après sa disparition, c’est un privilège de pouvoir lui rendre hommage dans la ville qui l’a vu naître et où, dés l’adolescence, avec ses amis Celestin Deliège, André Souris, René Magritte, Louis Scuttenaire, Pierre Alechinsky, Paul Delvaux, Henri Stork, Marcel Broodthaers et bien d’autres, il contribuera à développer les bases d’une part essentielle de l’art du vingtième siècle.

Homme de langage, il s’exprime d’abord à travers l’écrit et le cinéma. Quand à partir de 1957 il décide de se consacrer pleinement à la peinture, il n’abandonne jamais tout à fait l’écriture. Choisir l’une au détriment de l’autre lui est insuportable. Il est poète autant que peintre, viscéralement. Il exige les deux, cœur et esprit indissociables de son art. Le mot ne sera jamais très loin, et le jeu des titres qu’il attribue à posteriori participe fondamentalement à l’œuvre qu’ils illustrent. Ils interpellent, émeuvent, provoquent, mais aussi libèrent par l’humour forcené et la dérision qu’ils introduisent.
Tout à la fois dada, surréaliste, cobra, Jean Raine réalise sa propre synthèse des différents mouvements qu’il côtoie, se réservant toujours la part de liberté indispensable à sa propre vérité.
Sa façon de peindre emprunte à l’écriture automatique. La trace initiale l’entraîne vers une figuration qu’il revendique et dans laquelle s’expose au fur et à mesure de l‘avancement de l’œuvre, un monde onirique primitif, non prémédité, révélateur, qu’il découvre et avec lequel il dialogue.

Qu’il s’exprime à travers l’huile, l’encre ou l’acrylique, qu’elle s’illustre dans l’ombre ou la lumière, Jean Raine nous fait don d’une œuvre intense dans laquelle la dérision et la poésie surgissent comme une lumineuse rédemption.

Jean Michel de Dion