Publié dans la revue de l’UMAM
mercredi 2 octobre 2013
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Rêverie pour un futur au château de Carros
Le 10 mai 1940, à l’aube, Bruxelles fut bombardée par les nazis. Jean Raine, belge, va s’en souvenir en 1983 et réaliser une série de huit toiles, où dans un délire coloré et violent apparaissent des croix gammées. La série est en place au château de Carros pour cette exposition exceptionnelle conçue par Marcel Bataillard et Frédérik Brandy, le directeur du CIAC.


Jean Raine fut un autodestructeur, il se considérait probablement comme un artiste maudit. La peinture va être pour lui l’ouverture vers la lumière, un moyen de dire, d’exprimer une souffrance interne, profonde. Mais c’est également un homme de l’écrit et les titres de ses tableaux complètent l’œuvre elle-même, en y apportant souvent de la dérision, de l’humour même, mais toujours une explication complémentaire de la toile ou du dessin. Aux Etats-Unis, perdant suite à un accident la vision de la couleur, il va se rabattre sur le noir et blanc et acquérir encore plus de force dans ses traités de l’image.

Son œuvre c’est le chao. Pas un instant de relâchement, de détente ; non, bien au contraire une violence permanente avec des traits noirs, épais qui recouvrent souvent des couleurs vives pour créer une nature sans repos et sans tendresse. Peu d’espaces libres, pas de calme : une toile intitulée « Passion en forme de cauchemar » semble être la quintessence de cet artiste victime des ses propres relations conflictuelles. Une visite s’impose véritablement au château de Carros et la découverte de Jean Raine sera violente, certes, mais remuera votre fort intérieur.

Le CIAC a choix d’accompagner cette exposition par de jeunes artistes. Oan Kim est musicien et il fut le leader d’un groupe nommé « Film noir ». Est-ce une coïncidence avec ses photos en noir et blanc qui décrivent une ville fantôme ou errent parfois un chien, et au loin un personnage totalement dominé par son environnement ? Un cadrage très cinématographique s’allie à des blancs trop blancs et à des noirs très noirs. Des murs en béton, une flaque d’eau et un univers est créé, qui s’il rentre en contradiction avec la violence de Jean Raine, le rejoint dans une forme de désespérance engendrée par le vide urbain. Oan Kim admire De Chirico et le dépeuplement est parfois comparable.

Tous ces mondes sont en perpétuelle mutation et Jérémie Bennequin va les faire disparaître. Il efface le texte de la recherche du temps perdu à coup de gomme depuis dix ans. Les petits feuillets sont exposés sur un mur. Mais pourquoi effacer Proust ? Peut-être parce qu’on l’a compris, que le temps passe, et que l’action même recrée une nouvelle poésie. L’effacement génère de la poussière et elle est présente soit en tas, soit enfermée dans de petits flacons. On passe du livre-objet au texte-objet. Sa disparition des pages imprimées engendre une matérialisation de l’impression qui laisse place à la mémoire, donc au rêve et à l’imaginaire.