Chiromancie de la Méduse
Marcel Bataillard
En guise de critique, quelques remarques à la volée en regardant peintures et dessins signées JR.
MUNITIONS POUR PRÉMONITIONS
Les dessins sont fulgurances, proches de la caricature, faussement maladroits. Ils partagent avec ces jeunes enfants, au regard inquisiteur et insolent, chez qui l’on sent poindre des raisonnements et des calculs d’adulte un côté fascinant et effrayant. Et peuvent décourager au premier abord. Ou fasciner. Les peintures parlent d’elles-même, c’est-à-dire de la peinture en train de se faire sous vos yeux, elles ne promettent que du sang, de la sueur et des larmes. Peintures de guerre. Peinture qui fait tâche aurait dit Rorschach. Peinture outragée, peinture brisée, peinture martyrisée mais peinture libérée. Par couches successives, épuiser le motif (la peinture ?) et le sujet (le peintre ?). Par plans superposés, utilisant différents types et tailles de pinceaux, usés, essuyés, donner du relief à la surface. Abandon de toute perspective illusionniste : l’issue - fatale - est connue, pour la peinture comme pour le peintre pas de plans sur la comète. Il ne s’agit pas de faire bonne ou pâle figure mais de tenir tête. Par des vitesses d’exécution multiples - non pas seulement tracer à toute vitesse mais aussi à toutes vitesses - se crée un ballet de brosses qui rythme et organise le trafic, la circulation de l’œil dans les circonvolutions du tableau. Que des cadres, des fenêtres viennent perturber. JR requiert notre plus grande attention.
VICTOIRE PAR CHAOS
Les peintures (sous) acides sont corps-à-corps d’un coloriste hallucinant, grinçant ; les grands formats, effectués sans recul. Debout sur le papier JR ne cherche pas à y voir clair mais à avoir une vision - tout court. Même s’il peut de temps à autre y avoir quelques dessins préparatoires, voilà le programme : ne rien céder à l’ivresse tout en s’y livrant, dans de longues séances de travail - très longues, et intenses : deux par an, pendant les vacances d’été, pendant les vacances d’hiver, jours et nuits - espacées de grandes périodes de décantation, de maturation. Peindre à ras bord comme le verre de vin épais servi au comptoir. JR ordonne le K.O., au chaos. Dans cet univers anthropomorphe, zoomorphe et peu amorphe, le fatras n’est qu’apparent, le bordel organisé. Les gestes et lavis d’une extrême et précise vivacité composent des silhouettes aux contours incertains, aux volontés floues. Action painting de scènes d’action, de liesse, de relations conflictuelles entre les figurants. Secousses, tremblements, effets de bougés d’un film qui déraillerait. Ou encore turbulences, cartes météo entremêlant anticyclones, ouragans, vents violents, ondées éparses, soleils radieux et invincibles, nuits agitées, nuées, orages. Saisir le sens à la faveur du temps.
ABîMES À RAS BORD
Dionysos n’erre jamais bien loin, pour l’ivresse mais aussi pour le corps démembré, reconstitué, revenu des enfers. JR sait ce qu’il cherche - les embrouilles - et ce qu’il va trouver, se soucie plus des apparitions que des apparences, ne reproduit pas des hallucinations : il les produit. « Le cerveau tout entier tient au creux de la main » : il se laisse guider par le hasard et parfois le sème en route, traçant des voyances. Peinture de bonne fortune, de bonne aventure : les lignes de la main. Les oeuvres sont tranchantes comme des lames, - d’un couteau et pourquoi pas d’un tarot ? Grand feu d’eau de vie. Transmutation du suc en encre, transsubstantiation du vin en acrylique. Souvent apparaissent des têtes sans corps, des yeux qui vous médusent. Parfois regards humains, quelquefois yeux d’insectes dont on devine les ailes. Des yeux qui sont aussi téton, nombril, anus. un maquis de traces, de gestes appelle le discernement afin de distinguer ce qui se déroule devant nous. Il faut se laisser porter par le flot. Les oeuvres de JR demandent à qui les regarde qu’il s’y confronte, exigent à qui leur fait face qu’il s’y abandonne.
JOUISSANCE DE LA TITRAILLE
Enchevêtrements, lacs, frondaisons, mousses, floraisons, poèmes jetés en l’air et retombés sur le papier, bouteilles d’encre à la mer... Peintures de sous- bois, dessins secs comme ces mêmes lieux après l’incendie. L’étonnement, la sidération se prolongent par l’attribution de titres qui sont à eux seuls des œuvres* et rarement une légende et contribuent à celle de JR. Piochés in fine dans une liste préparée à l’avance ou bien trouvés sur le moment, ils accompagnent ses peintures quasi aphoristiques, illustrations de récit restant à inventer, pour solde de tout conte.