Une seule salle au Musée des Beaux-Arts consacrée à Jean Raine (1927-1986), mais quelle salle ! Cinq immenses encres sur papier ocre marouflées sur toile y sont accrochées ; soit cinq visions à la fois grotesques et effrayantes des entrailles de l’enfer ou de la folie du monde.
D’innombrables créatures aux visages tremblant d’effroi, mi-fantômes mi-oiseaux, nous entourent, nous fixent de leurs grands yeux avides ou vides. C’est tout à la fois monstrueux et enfantin, comme une sarabande ou un carnaval de formes tourmentées, constituées de tâches et de giclées d’encre, de figures cauchemardesques tordues par des bourrasques de vent noir.
Les œuvres datent des années 1960, époque où, après un coma de trois semaines, l’artiste a perdu la perception des couleurs (qu’il recouvrera peu à peu à partir de 1966-68)...
Injustement méconnu, poète, cinéaste et artiste, Jean Raine participa au mouvement surréaliste belge emmené par Magritte, fut un proche d’Alechinsky et du mouvement Cobra, et fréquenta les derniers surréalistes français à la fin des années 1940...
Adepte du dérèglement de tous les sens de Rimbaud, il dessine et peint dans l’urgence et la fièvre, parfois à même le sol, et laissera après sa mort quelque 2000 œuvres !
« Mon humeur est de charbonner, non pas au fusain comme dans les académies, mais aux couleurs qui se nient, qui se tuent mortellement et qui pour finir font encre. On ne m’enlèvera pas l’encre du sang » a écrit Jean Raine.
Une œuvre viscérale donc, sans médiation ou presque, où les humeurs du sang et les distorsions des nerfs viennent directement s’imprimer sur la toile et le papier, corps à corps.
_ Jean-Emmanuel Denave
Jean Raine. « La Proie de l’ombre » jusqu’au 9 juin au Musée des Beaux-Arts.
« Cobra pour qui en veut » jusqu’au 24 avril à la Galerie Henri Chartier